Pipo Delbono

(1944-

Naissance à Liège

.

 

[...] Ma recherche s'est basée sur les principes dramatiques qui peuvent être exprimés par le corps.

p.19

[...] je préfère raconter mon histoire en évoquant mes choix techniques, car je ne souhaite pas créer de méthode et éditer des dogmes sur la façon dont doit se comporter un acteur sur le plateau. lorsque le travail devient mécanique c'est la mort du théâtre, de la vie. C'est le théâtre bourgeois.

p.19-20

Au cours de ma vie d'artsite, j'aiété onfronté a différentes formes d'art, notamment le théâtre asiatique que j'ai beaucoup aimé. un travail basé sur le corps et son étude afin de parvenir à tisser un réseau de contradictions à l'intérieur du corps pour que la majeure partie des mouvements effectués en soit le fruit. Il s'agit d'un travail technique précis et méticuleux des mains, des pieds, de la tête, du bassin, qui permet de trouver dans son corps lescontradictions énergétiques nécessaires à la vitalité théâtrale.

p.20

[...] trouver l'énergie qui prend sa source à l'intérieur du corps, au niveau de la colonne vertébrale, des lombaires. Je cherche à isoler mes différents flux énergétiques, à les canaliser et à me les approprier. [...] J'ai trouvé dans mon bassin, à la chute de la colonne vertébrale, la nécessité de ma présence sur un plateau de théâtre. [...] C'est là que réside ma pensée.

p.20

La force naît de l'arrêt brutal d'un mouvement et crée un léger moment de suspens avant que le geste ne prenne une direction autre. C'est la base de tout mouvement dramatique. "Dramatique" signifie que ces mouvements, leurs enchaînements, leurs ruptures et surtout l'énergie, la force qui les habite, donnent à l'acteur la possibilité de créer un lien avec le public, une attention partagée.

p.22

La poésie naît de la justesse et de la précision.

p.23

Le but de l'acteur est de devenir chaman dans son art, être libre dans le rituel sans jamais perdre conscience. Les chamans comme les derviches tourneurs deviennent des maîtres de pensée grâce à une totale maîtrise et liberté de leur corps.

p.24

Un musicien n'a pas besoin nécessairement de penser au message qu'il veut faire passer lorsqu'l joue. En revanche, il porte une attention intense au rythme et ux couleurs des nots. Je ne me concentre pas sur ce que je veux dire, mais sur ce que je veux faire. Le corps est une somme, une gamme qu'il faut connaître sur le bout des doigts.

p.25

Je cherche comme un danseur et pas comme un acteur. J'oeuvre à la maîtrise de mon corps pour que la parole devienne comme une autre façon de danser.

p.26

La répétition, c'est pour moi la recherche des possibles. [...] La répétition est l'unique manière que j'ai trouvée pour découvrir tout le temps les nouvelles ouvertures que peut offrir le corps et pour raffiner, raffiner, raffiner...

p.26

Répéter, répéter inlassablement pour ne plus penser aux gestes, afin d'évacuer toute psychologie, et que la relation à établir entre les acteurs et le public ne soit pas intellectuelle mais physique. La répétition, comme pendant le trainng au moment des "stop", permet de trouver la force intrinsèque à chacun des gestes. chaque geste devient ainsi porteur de sa propre tension dramatique.

p.27

Le but étant de parvenir ultérieurement à une forme d'improvisation libre, poétique, consciente et attentive qui trace dans le même temps deux chemins, celui de l'observation des lignes que le corps produit dans l'espace, et celui de la fragilité et du naturel.

p.29

Dans la vie, nous sommes naturalistes ! Lorsque nous marchon dans la rue, nous allons d'un point à un autre sans changer de rythme. C'est le schéma de base. Ce sont les événements extérieurs à nous-mêmes qui nous forcent à en changer. [...] Nous sommes physiquement capables de modifier notre rythme et de direction. Seul sur un plateau, il nous faut retrouver les différents rythmes de la vie quotidienne et les intégrer à notre processus de travail. Dans le théâtre traditionnel, les acteurs ont souvent le même rythme. Lorsque l'on parle de personnage, on parle beaucoup d'interprétation, et pas de rythme...

p.29

Lorsque je joue Henry V de Shakespeare, je ne me demande pas ce que pense le roi, je cherche son rythme. Je construis la danse du roi, pas seulement la danse des gestes mais aussi la danse de la parole. Un fluide.

p.29

Dans le théâtre occidental, les acteurs marchent sur une scène comme dans la rue. En Orient, c'est complètement différent ! La marche est animée par la lutte, comme lorsque l'on avance contre un vent très fort. Cette lutte n'est pas exprimée par le visage mais par le corps. Le visage est très relaxé, mais le corps lutte. Cette lutte-là est fondamentale pour moi, elle est l'essence de mon travail, et j'ai besoin de la sentir physiquement [...].

C'est cette lutte qui m'empêche de sombrer dans le naturalisme.

p.33

[...] chacun trouve une ironie dans sa relation avec son corps, avec ses ridicules, sa poésie et son histoire.

p.34

Il me sembl finalement que ce qui est important est que chacun trouve sa propre autonomie, afin de devenir non seulement un bon interprète mais également un créateur.

p.36

Mon théâtre n'est que contradictions. Le training aussi ! C'est une règle, la contradiction qui permet, et c'est contradictoire, de rester à part. Sinon, nous devenons des virtuoses du théâtre, de la danse, de la vie... Aimer et accepter nos contradictions permet de faire de nouveaux pas.

p.37

[...] les spectateurs ne doivent pas voir le théâtre de l'acteur, ils doivent percevoir la poésie de l'acteur au travail.

p.37

Si l'on suit la définition du dictionnaire je ne suis pas un acteur et mon théâtre n'est pas du théâtre ! Il s'agit d'un travail subtil et profond qu'il est difficile de circonscrire à une définition. Les acteurs de la compagnie ne jouent pas des rôles, ils travaillent.

p.37-38

Ils cherchent la précision. Pas l'émotion.

p.38

Avant n'importe quelle action, je vais dans la direction opposée. C'est un principe dramatique. Je crée avec mon corps une tension dramatique qui n'appartient pas à la psychologie.

p.38

Le théâtre devient vital lorsque le public oublie la technique de l'art, car l'acteur est parvenu au plus profondde lui-même. qu'il fait corps avec le public.

p.39

Pepe Robledo : En Orient, il n'y a pas de différence entre le théâtre et la danse. Chez nous les acteurs et les danseurs se forment dans des écoles différents. Cependant l'acteur est avant tout, un homme ou une femme, qui travaille son corps comme un musicien travaille son instrument de musique, tous les jours. En Occident, l'acteur se concentre plus sur l'inspiration, la "déclaration", la respiration. Le théâtre de l'Orient est plus concret, plus physique, la machine doit être fonctionnelle. le rapport avec le métier est différent, comme la relation d'un ouvrier avec sa machine, plus humble, moins inspiré. Il y a une différence fondamentale entre travailler quotidiennement son outil et attendre l'inspiration...

p.42-43

Pepe Robledo : Ce qui est important, ce n'est pas de faire des exercices, c'est d'arriver à trouver son silence. Arrêter de penser, trouver le silence du travail, un non-lieu de grande liberté. Les exercices du training sont des prétextes pour y arriver. Il faut toucher cet état de la pensée de soi-même dans lequel l'esprit et le corps sont silencieux, la pensée est en retrait, et l'on écoute son énergie vitale.

p.43

Pepe Robledo : C'est passionnant d'avoir toujours de nouvelles limites à dépasser et c'est ce que l'on apprend en trvaillant dans la concrétude : il y a encore du bruit, encore de la sueur à gommer par exemple. Le silence, c'est avant tout très concret, le travail est silencieux. Je travaille comme un potier à partir d'un socle d'argile pour créer un vase. Mon socle d'argile c'est mon bassin. Je donne ensuite forme à l'énergie qui s'en dégage. A partir de là, je cherche des contradictions, j'enchaîne des mouvements, lents, rapides, vers le haut, vers le bs. Je crée des ruptures pour changer de rythme. [...] C'est un travail en toute liberté, une danse silencieuse.

p.45

La danse, c'est ce langage qu'avaient trouvé d'anciennes tribus pour être en harmonie avec la nature.
A vec le monde.
C'est une nécessité de parler.
Une autre façon de parler.

p.49

Le corps est mon outil d'acteur, le mouvement précède la pensée.

p.50

Quoi que l'on ise, le théâtre occidental, même dans ses formes les plus novatrices est très bourgeois. Il a sacrifié le sacré au confort.

p.50

La pratique quotidienne du travail de l'acteur est un dialogue quotidien avec le sacré. L'acteur est devenu un vecteur de culture et n'est plus tourné vers le sacré. [...] l'acteur peut par le travail retrouver ces forces primales, telluriques, qui investiraient chacun de ses gestes en scène d'une incantation humaniste.

p.51

En tant qu'acteur, je passe beaucoup de temps seul à rechercher le mouvement juste, je m'aide avec la musique, avec la danse. Je construis une structure de travail pérenne, qui me permet de travailler en dehors de ma relation au metteur en scène. Il en est de même pour les acteurs de ma compagnie, ainsi, en tant que metteur en scène, je peux m'absenter et eux peuvent travailler par eux-mêmes. Ils n'ont pas besoin de moi. Ils sont autonomes.

p.52

C'est vrai que les acteurs sont stupides ! Ils doivent même favoriser cette stupidité. Dans son sens littéral : frappé de stupeur. Un état d'inertie et d'insensibilité profonde lié à un engourdissement général, un anéantissement en somme. Un état au monde sans défense, sans préjugé, en totale innocence et contradiction, car c'est à ce moment-là, anéantis, qu'ils peuvent jouer. C'est le lieu de la poésie. Parfois je leur donne des stimulants, des pistes de travail pour qu'ils puissent travailler seuls, c'est ainsi que l'on devient acteur-créateur.

p.53

Le public doit pouvoir regarder l'âme des acteurs, voir des choses que l'acteur lui-même ne connaît pas et qu'il ignore être en train de dévoiler.

p.53

Le risque majeur pour un acteur est de devenir un aristocrate.
Il ne s'agit pas seulemen de créer des personnages, le travail doit directement changer la vie. C'est une question d'humilité.

p.55

Il faut faire la révolution à l'intérieur de sa vie même, n'être que fragilité, entre la vie et la mort. C'est ce que fait Shakespeare, lorsqu'il travaille en permanence entre le réel et l'irréel.

p.56

C'est vrai que l'rt nous offre l'occasion de vivre des moments extraoridnaires, mais nous devons en permanence nous mettre nous-mêmes en état de crise et de questionnement personnel. Je ne veux pas tomber dans le cliché de l'artiste et jouer à l'artiste. Le parcours d'un acteur peut être un parcours mystique.

p.56

Certes, le théâtre s'invente et se construit pour le public, cependant l'acteur doit être autonome, se consacrer à lui, être en révolution permanente, non pas avec le monde, mais avec lui-même. Comme les prêtres ! Sinon il devient une coquille vide, plastique, mondaine, lisse, formatée et insupportable. Il se passe beaucoup de choses dans le monde, la guerre, la pauvreté, la violence... l'art n'a de sens que si les gens qui le pratiquent ont engagé en eux un processus révolutionnaire. Sinon, bof, arrêtons-nous !

p.56

L'homme qui se travestit sur scèe apporte une vérité : ce n'est pas une femme, c'est un homme.

p.57

Le personnage c'est la personne : l'homme ou la femme qui portera des vêtements différents. La personne est plus forte que le personnage. Je travaille avec les acteurs sur leur personnalité et pas sur leurs personnages pour faire sortir ce qu'ils sont et pas l'idée qu'ils ont du personnage. Lorsqu'un acteur change de sexualité, la distance est claire entre la personne et le personnage. Bertolt Brecht était rvolutionnaire. Les gens qui le joue aujourd'hui ont perdu cette révolution.

p.57

Je crois que la figure du travesti ne doit pas être surchargée de symboles. Il s'agit pour moi d'un travail très proche du cirque.

Nous avons perdu le sens profond du cirque. La même personne qui marche sur un fil vend les billets au début du spectacle et les cacahuètes à l'entracte. Le chapiteau est un lieu d'humanité. Il est important, à mon sens, de retrouver l'âme du cirque plus que son esthétique, cette âme que nous avons un peu perdue dans le théâtre. Ce n'est pas pour irne que le cirque est si présent chez Fellini. le cirque fascine tant les enfants car, il porte une vérité d'une iummense précision et que, dans le même temps, il installe une relation au public d'une grande humilité. le cirque ne cherche pas à faire passer de message ou bien à soutenir un discours, il se met simplement à la porté des gens, sur un pied d'égalité.

p.58-59

Jouer un travesti, un homme ou une femme, n'est ps un travail psychologique mais physique.

p.59

Comme dans ma pratique d'acteur, dans mon travail de mise en scène, je cherche à arrêter la pensée, et surtout à n'émettre aucun jugement. Les aceurs de la compagnie improvisent sur le mode du training, c'est-à-dire qu'ils construisent des petites phrases chorégraphiques sur les thèmes les plus variés possbiles. Sur ce qui les touche. Moi, je cherche de la beauté dans leurs propositions.

p.60

Le travestissement c'est une figure emblématique de la contradiction sur laquelle je base mon travail de l'acteur. Un homme, une femme. l'acteur doit trouver par des mouvements ce qui les oppose, les réunit, les différencie. Cela demande beaucoup d'ironie et de sensibilité.

p.61

Travailler sur le travestissement est une façon pour l'acteur d'explorer la liberté et de trouver des gestes, une façon d'être, différente de ses habitudes.

p.61

Je ne veux pas entrer dans le sens et je préfère créer des images parce qu'elles racontent encore plus que le sens. Le rythme est fondamental. Chaque spectacle est construit comme une partition musicale. Une note plus longue change totalement l'attention, comme dans une peinture - si le rouge est trop rouge le tableau n'est plus le même.

p.62

Pourquoi y a-t-il plus de gens dans les concerts de rock qu'au théâtre ? Peut-être parce que la musique est plus proche des gens de la rue et que le théâtre n'est aujourd'hui réservé qu'à une catégorie sociale très définie.

p.67

Je ne veux pas que mon théâtre soit naturel mais vivant. Il ne faut pas qu'il se départisse de la fragilité et de l'inceritude qui sont inhérentes à la personne humaine. Etre sur scène, ne rien faire et dégager de cette immobilité une humanité.

p.67

Etre seul en scène, éprouver des sentiments très forts qui dégagent des émotions qui vont se transmettre par la voix et la respiration de l'acteur. Mais la nécessité du personnage prédomine et l'on ne sent pas celle, plus profonde, de l'acteur à être en scène. C'est à cet endroit-là, il me semble, que nous avons perdu la dimension rituelle du théâtre. Il y a une vérité plus grande au cirque chez une femme qui marche sur un fil. Il y a le risque, le corps n'interprète pas une fiction, mais dit la nécessité de l'équilibre.

p.68

Si je regarde Les Tournesols de Van gogh, je ne me dis pas : quel message ! La même chose pour Guernica de Picasso. J'éprouve un ensemble de sentiments contradictoires et m^élés. La peinture moderne n'est pas narrative et délivre rarement des messages univoques.

p.69

Les compositeurs contemporains ou moderne aussi sont différents. L'art d'Edgard Varèse, le fondateur de la musique électronique, est pluridimensionnel et pétri de contradictions, il n'est pas nimé d'une seule intention dramatique, comique ou pathétique.

p.69

Il ne s'agit pas d'être amoureux ou malheureux mais de mettre son expérience personnelle à la disposition des autres. Son expérience et pas sa vision de son expérience. Il n'existe pas de bonne ou de mauvaise expérience, c'est nous qui choisissons de teinter nos expériences de différentes couleurs.

p.72

Dans mon théâtre, la musique est un outil dramaturgique qui, dans la mise en scène, permet de jouer des contradictions et soutient le travail de l'acteur.

p.74

Il importe que la musique pénètre le travail des acteurs, qu'elle suscite la lutte intérieure qui doit constamment animer les acteurs pour qu'ils soient sur le plateau comme un funambule sur son fil.

l'acteur est celui qui marche sur le fil tendu entre la force et la fragilité, le masculin et le féminin, la violence et la tendresse.

L'acteur doit être en permanence dans ce déséquilibre qui permet l'équilibre. La miusique est un des éléments de ce déséquilibre.

p.76

C'est très vivant la relation qu'un artiste peut avoir avec son public. Une confiance basée sur les émotions et pas forcément su la compréhension. C'est la même relation que j'essaie d'instaurer avec les acteurs dans le travail.

p.77

Le métier d'acteur peut devenir dangereux, lorsque l'on perd la nécessité de trouver dans sa vie des choses plus profondes que des sentiments. Si un acteur ne travaille que sur ses sentiments, lorsqu'il va dîner après le spectacle par exemple, il est, demeure, son personnage. C'est un risuqe pour lui dans son métier et dans sa vie, outre le fait que ce soit insupportable pour les autres. Un musicien ne risque pas de devenir une note, un peintre un paysage ou un sculpteur une statue, par contre quelqu'un qui fait du théâtre peut devenir son personnage et risquer de l'être à temps plein. Pour moi être acteur est un processus intime, humain et humble. Nous devons, comme tout un chacun, parcourir notre chemin vers la mort. Je ne peux pas me dissoudre dans moult personnages et attendre que la mort vienne comme ça, par surprise. Je cherche et je mets tout en oeuvre dans ma vie afin d'avancer avec joie et beauté vers la mort.

p.79

Un acteur ne doi jamais se départir de sa propre identité. On pense évidemment à Brecht, jen e veux pas voir sur le plateau des gens qui disent, moi je suis tel personnage... Surtout dans notre monde actuel où tout n'est que fiction, la politique, la société, la mode, la télévision... Nous cherchons désormais la vie dans le théâtre.

p.80

Pippo Delbono, Le Corps de l'acteur ou la nécessité de trouver un autre langage, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2004

 

 

Urlo
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